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Les instruments économiques au service de la réduction à long terme des émissions de carbone d'origine énergétique

9. Résultats spécifiques : Efficacité énergétique dans le secteur industriel

L’« efficacité énergétique » désigne le rapport entre l’extrant (service) d’un dispositif ou d’un système et l’énergie qui y est consommée. Cette étude de cas a concentré les efforts sur les secteurs canadiens de la fabrication et de l’exploitation minière66, en recherchant les possibilités d’efficacité énergétique pour le matériel utilisateur d’énergie, les grands procédés industriels, les technologies d’approvisionnement et les réseaux d’acheminement. Le remplacement de carburant a été envisagé de pair avec les solutions visant l’efficacité.

L’intensité énergétique à l’échelle de l’économie (unité d’énergie par unité de PIB) est influencée par deux facteurs : l’efficacité énergétique elle-même et d’autres facteurs comme les changements structurels de l’économie vers de nouvelles industries ou des produits à valeur ajoutée ayant des intensités d’énergie différentes en termes de production et d’effets d’interaction. Les réductions passées de l’intensité énergétique de l’économie sont dues en partie aux changements opérés dans la composition de l’économie, comme la croissance des secteurs de services et la relocalisation des usines de fabrication dans d’autres régions. La conception des mesures d’EF peut avoir une incidence sur la structure de l’économie en favorisant une ascension le long de la chaîne à valeur ajoutée de la production, vers des produits à valeur ajoutée dont l’élasticité de prix est plus grande et qui peuvent absorber les nouveaux coûts environnementaux.

Sur le plan de l’analyse, il est important de noter que le secteur de l’électricité n’a pas été inclus dans l’étude. La raison principale est qu’au Canada la majeure partie de l’électricité est encore produite par des centrales appartenant aux pouvoirs publics qui ne sont pas régies par les mêmes instruments fiscaux que les entreprises privées. Certains participants estimaient que ce secteur devrait être inclus car les occasions d’améliorer l’efficacité énergétique y sont nombreuses. Ils ont aussi indiqué que dans de nombreuses juridictions canadiennes67, l’électricité (et en particulier, l’électricité à la marge) sera de plus en plus produite par des producteurs indépendants, et le choix de leurs charges d’alimentation aura des conséquences importantes sur l’environnement. Exclure la production d’électricité du champ d’application des instruments fiscaux, créerait aussi des effets pervers involontaires — par exemple, les industries seraient incitées à installer des chaudières hautement efficaces plutôt que des installations de cogénération, plus bénéfiques sur le plan de la réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle du système énergétique dans son ensemble. Cette étude de cas a envisagé le rôle de l’efficacité énergétique dans la promotion de la décarbonisation du système énergétique. Elle a aussi tenu compte des nombreux objectifs stratégiques que l’efficacité énergétique pouvait remplir. Par exemple, mettre l’accent sur la réduction du carbone a été perçu comme favorisant le respect des normes de la qualité de l’air, et comme tel, il peut intéresser les entreprises qui autrement seraient réticentes à adopter des mesures destinées à améliorer l’efficacité énergétique. Qui plus est, en encourageant l’efficacité énergétique, on appuierait du même coup d’autre priorités stratégiques comme la réduction de la demande d’énergie. Selon une recherche effectuée par l’OCDE, les technologies novatrices de l’efficacité énergétique ou matérielle, offrent des avantages multifonctionnels, outre leurs effets d’atténuation des gaz à effet de serre. Les effets accessoires sur la qualité de l’air local, les effets macroéconomiques et les conséquences sur la santé sont bien compris. Toutefois, on néglige davantage de considérer d’autres bénéfices subsidiaires :

  • l’amélioration de la qualité des produits, de la qualité de la vie, de la productivité du capital et de la main-d’œuvre, découlant de l’adoption de nouveaux procédés efficaces en énergie et en matériel; les effets dynamiques de l’apprentissage, des économies d’échelle et de la concurrence technologique entre technologies modernes et classiques; les incidences nettes sur l’emploi en raison de la substitution des importations et avantages reliés au fait d’être le premier instigateur;
  • la redistribution régionale de l’emploi net en raison d’une répartition des emplois plus équitable dans une économie où les ressources sont gérées de manière efficace.

Ces avantages peuvent en réalité dépasser ceux liés aux économies d’énergie et à l’atténuation68.

9.1 ÉTAT DE L’EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE DANS LE SECTEUR INDUSTRIEL

Le secteur industriel au Canada, qui comprend les activités des secteurs de la fabrication et des mines, est un important producteur de gaz à effet de serre. En 2000, il a émis, de manière directe, 237 Mt de gaz carbonique (CO2e), la plus grande partie étant le résultat de la consommation énergétique69. L’énergie totale consommée par le secteur industriel au cours de cette même année était de 3 187,2 PJ70.

L’intensité énergétique (par rapport au PIB) dans l’industrie canadienne a diminué d’environ 27 p. cent entre 1990 et 200271. Les tendances de l’intensité carbonique sont semblables (mesurées en émissions de gaz à effet de serre par unité de PIB). Au cours de la même période, l’intensité carbonique (aussi par rapport au PIB) du secteur industriel canadien a aussi décliné, se stabilisant à un niveau d’environ 34 p. cent inférieur à celui des années 1990 en 200272. Cette baisse des intensités énergétique et carbonique est due à une meilleure efficacité chez les utilisateurs d’énergie ainsi qu’à des changements structurels dans l’industrie (un changement dans la composition des produits ou de l’industrie). Elle est aussi due à des facteurs liés aux unités monétaires en terme de PIB, comme le coût de la main-d’œuvre ou le prix de vente du produit final. Les indicateurs composites calculés pour l’intensité énergétique mesurée en termes d’unités physiques agrégées, dans l’industrie canadienne de 1990 à 1996, laissent supposer un recul plus modeste de l’intensité énergétique par rapport aux mesures fondées sur le PIB.73

Le potentiel d’amélioration de l’efficacité énergétique peut encore être important, en particulier pour certains secteurs industriels. Par exemple, dans une étude préparée en 1996 pour Ressources naturelles Canada, les chercheurs constataient que les possibilités techniques d’économie d’énergie dans six grandes industries consommatrices d’énergie se situaient entre 3 et 25 p. cent de la consommation énergétique projetée en 201074. Toutefois, trois décennies de recherches ont montré que les consommateurs et les entreprises se privent, apparemment, des investissements rentables dans l’efficacité énergétique. Une raison expliquant ce phénomène est que les projets portant sur l’efficacité énergétique entrent en concurrence les uns avec les autres, à l’intérieur d’une même entreprise, pour obtenir des fonds, et il se peut qu’ils ne satisfassent pas aux exigences internes établies en matière de taux de rendement. Une autre raison possible est que les entreprises hésitent à adopter de nouvelles technologies dont le risque d’échec est plus grand. Comme ces investissements sont irréversibles et peuvent être retardés, cette incertitude peut constituer un frein à leur réalisation. C’est là un phénomène souvent appelé « écart d’efficacité énergétique » qui constitue un enjeu majeur pour l’évaluation du coût économique de l’EF et de son potentiel à influencer l’adoption de technologies écoénergétiques.

9.2 ÉTAT DE L’EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE DU SECTEUR INDUSTRIEL D’ICI À 2030 EN SUPPOSANT UN SCÉNARIO DE MAINTIEN DU STATU QUO

Globalement, les émissions du secteur industriel (tel que défini dans l’étude de cas) croissent de 50 p. cent au cours de l’horizon de simulation de 2000 à 2030, les émissions directes augmentant et les émissions indirectes diminuant75. Les émissions totales augmentent à un rythme annuel de 1,53 p. cent, ce qui est plus rapide que la croissance de la consommation nette d’énergie qui augmente au rythme annuel de 1,48 p. cent (tableau 2). Il y a croissance des émissions parce qu’on s’attend à une augmentation appréciable de la production dans un certain nombre de sous-secteurs énergivores et à fortes émissions de carbone. La part de l’électricité produite par cogénération dans le secteur industriel augmente au cours de la période de simulation, notamment en ce qui concerne l’exploitation des sables bitumineux. Le secteur du pétrole et du gaz est celui qui génère la plus grande quantité d’émissions de gaz à effet de serre en raison d’une forte croissance des exportations de pétrole et de gaz vers les États-Unis.

RésultatsEFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE DANS LE SECTEUR INDUSTRIEL

  • Un prix fictif de 15 $ par tonne de CO2e entraînerait une réduction de 46 Mt de CO2e d’ici à 2030, par comparaison avec le scénario de maintien du statu quo.

  • Un prix fictif de 30 $ par tonne de CO2e entraînerait une réduction de 58 Mt de CO2e d’ici à 2030, par comparaison avec le scénario de maintien du statu quo.


Tableau 2 : Prévision de base des émissions de gaz à effet de serre (GES) et de la consommation énergétique au Canada

2000
2010
2020
2030
Croissance
annuelle
moyenne
Émissions de GES
(Mt CO2e)
288
343
396
453
1,53 %
directes
237
307
358
407
1,82 %
indirectes
50
36
38
46
-0,30 %
Énergie (PJ)
4 239
5 030
5 783
6 579
1,48 %

Tableau 3 : Émissions de GES et énergie pour les scénarios de rechange, Canada

  2000 2010 2020 2030
Émissions totales de GES (Mt CO2e)
       

SQ (maintien du statu quo)

288 343 396 453

Hypocarboné I

288 322 365 407

Hypocarboné II

288 316 355 395
Émissions directes de GES (Mt CO2e)
       
SQ
237 307 358 407
Hypocarboné I
237 292 339 386
Hypocarboné II
237 293 335 378
Émissions directes de GES (Mt CO2e)
       
SQ
50 36 38 46
Hypocarboné I
50 29 26 22
Hypocarboné II
50 23 20 17
Énergie (PJ)
       
SQ
4 239 5 030 5 783 6 579
Hypocarboné I
4 239 4 822 5 537 6 298
Hypocarboné II
4 239 4 818 5 497 6 232

SQ = maintien du status quo

9.3 SCÉNARIOS DE L’EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE DANS LE SECTEUR INDUSTRIEL D’ICI À 2030 EN SUPPOSANT UNE INTERVENTION GOUVERNEMENTALE

Le modèle du SCMI76 permet de faire ressortir un potentiel « atteignable », plutôt qu’une simple possibilité techniquement réalisable. Les mesures d’efficacité énergétique sont adoptées, dans le modèle, en fonction du stade de concurrence technologique illustrant les décisions d’achat des entreprises non seulement d’après l’atténuation des coûts annualisés sur le cycle de vie, mais également selon les préférences en matière de rendement, l’hétérogénéité des coûts, la valeur de l’option et les risques d’échec. L’étude de cas a utilisé deux scénarios de rechange, hypocarboné I et hypocarboné II, qui simulent un prix fictif de 15 $ la tonne de CO2e et de 30 $ la tonne de CO2e respectivement, afin d’influer sur un changement dans les profils d’investissement sur un horizon de 25 ans (de 2005 à 2030). Le prix fictif a aussi été appliqué au secteur de l’électricité afin de pouvoir répercuter un prix du carbone dans le prix de l’électricité prévalant dans les sous-secteurs de l’industrie. Le tableau 3 offre un résumé des résultats des scénarios hypocarboné I et hypocarboné II, comparativement au scénario de maintien du statu quo présenté au tableau 2.

Les scénarios hypocarbonés I et II donnent respectivement des réductions des gaz à effet de serre de 46 Mt de CO2e et de 58 Mt de CO2e en 2030. La réduction d’émissions se situe en grande partie dans les émissions directes, bien que la réaction des émissions indirectes à l’imposition d’un prix fictif soit plus forte que celle des émissions directes (les émissions indirectes fléchissent de 53 p. cent, à 62 p. cent en 2030, tandis que les émissions directes ne régressent que de 5 p. cent, à 7 p. cent). Les mesures à l’origine de cette forte réaction des émissions indirectes comprennent une adoption accrue de systèmes de cogénération et d’autres mesures qui augmentent l’efficacité globale des systèmes moteurs auxiliaires. Le secteur de la fonte et de l’affinage des métaux, le raffinage du pétrole et les sous-secteurs du fer et de l’acier sont ceux qui contribuent le plus à la réduction des émissions par l’amélioration de l’efficacité énergétique.

Les coûts financiers ex ante s’élèvent à –17,64 milliards de dollars pour le scénario hypocarboné I et à –24,87 milliards de dollars pour le scénario hypocarboné II (en dollars de 2000). En d’autres termes, dans tous les sous-secteurs de l’industrie, les coûts sont négatifs, car la valeur des économies d’énergie (escomptée en 2004 à un taux de 20 p. cent) est supérieure à l’augmentation des coûts d’immobilisation initiaux inhérents à l’adoption de ces mesures. Ces estimations ne rendent pas compte du risque, de la valeur de l’option, de l’hétérogénéité du marché et de la perception des avantages quantitatifs ou qualitatifs des choix de produits; par conséquent, elles ne reflètent pas la totalité de la compensation nécessaire pour que les entreprises amorcent un changement de technologie (ce que l’on appelle l’ « écart d’efficacité énergétique »).

L’incitatif financier total requis pour surmonter les choix technologiques classiques (p. ex. au moyen d’une subvention) s’élève à 2,012 milliards de dollars dans le scénario hypocarboné I et à 4,885 milliards de dollars dans le scénario hypocarboné II (en dollars de 2000). Fait remarquable, cet incitatif vise un programme dûment conçu pour cibler des mesures rentables; il ne tient pas compte des dépenses nécessaires pour subventionner les entreprises qui ont déjà amorcé un virage technologique dans le scénario de référence, un groupe susceptible de représenter 40 à 85 p. cent des bénéficiaires dans les évaluations antérieures des programmes d’efficacité énergétique. Des renseignements supplémentaires sur les résultats de l’étude de cas sont fournis dans l’Annexe A.

9.4 EFFETS MACROÉCONOMIQUES : ÉTUDE DE CAS SUR L’EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE

Les effets macroéconomiques des instruments proposés dans l’étude de cas sur l’efficacité énergétique peuvent être résumés comme suit :

  • Effets macroéconomiques agrégés : non significatifs sur le plan national.

  • Effets distributifs et répercussions sur le plan de la compétitivité : les effets distributifs possibles varient selon le type d’instrument employé. Les subventions n’entraîneraient aucunes augmentations de prix et pourraient même faire fléchir les prix de production. La fixation d’un prix sur les émissions (par des taxes ou des permis négociables) fera augmenter les coûts pour l’industrie. Toutefois, ces coûts seront en partie compensés par les économies réalisées grâce aux mesures d’efficacité énergétique et au remplacement des carburants, y compris la cogénération. Un bon nombre d’industries connaissent des hausses de coûts de moins de 1 p. cent de la valeur de la production. Avec un prix fictif de 15 $ la tonne, l’incidence sur les prix varie entre des réductions de 0,4 p. cent pour le secteur des produits chimiques et des pâtes et papiers, et une augmentation de plus de 5 p. cent dans le secteur des minéraux industriels. Le prix fictif de 30 $ la tonne enregistre moins de baisses de coûts et les coûts (mesurés en pourcentage de la valeur de la production) augmentent de plus de 12 p. cent dans le secteur des minéraux industriels. Du point de vue de la sensibilité aux fluctuations des prix des marchés national et international, seuls le secteur des minéraux industriels et celui du fer et de l’acier subissent des changements dans les prix de production qui sont suffisamment élevés pour réduire cette dernière.

Ces incidences supposent qu’aucune politique d’atténuation n’a été mise en place.

  • Effets sur le changement technologique : les effets sur le changement technologique à long terme sont très incertains et dépendront en partie du type d’instruments utilisés et de la conception précise de ces instruments. Toutefois, il est prouvé que les chocs qui ont eu lieu dans les années 1970 en matière de prix de l’énergie ont clairement stimulé l’investissement dans la R-D sur la mise au point d’un équipement plus efficace.

Des renseignements complémentaires sur les effets macroéconomiques des instruments proposés figurent dans le document de travail du programme EF et énergie77.

9.5 IMPLICATIONS STRATÉGIQUES : EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE DU SECTEUR INDUSTRIEL

Sur le plan stratégique, le fait de poser la réduction des émissions de carbone en objectif prioritaire revêt certaines conséquences qui sont bien illustrées dans l’étude de cas sur l’efficacité énergétique. On constate en effet dans cette dernière que trois objectifs stratégiques connexes peuvent mener chacun à la prise de mesures très
différentes :

  • Mettre l’accent sur l’efficacité énergétique seule pourrait, dans certains cas, faire augmenter l’intensité carbonique. Tandis que l’amélioration de l’efficacité énergétique dans le secteur industriel est intimement liée au remplacement de combustible et autres moyens de parvenir à une réduction des émissions de carbone; dans certains cas, elle peut aussi mener à un accroissement de l’intensité carbonique. À titre d’exemple, une chaudière au charbon est plus écoefficace qu’une chaudière au bois ou même qu’une autre au gaz naturel. Cette orientation appuierait d’autres priorités stratégiques en matière d’énergie, comme le besoin de refermer les écarts prévus entre la demande et l’offre d’énergie.
  • Poursuivre un double objectif, soit l’efficacité carbonique et l’efficacité énergétique, tel qu’il a été envisagé dans l’étude de cas, n’encouragerait que les mesures d’efficacité énergétique propres à générer aussi des dividendes sur le plan de la réduction de carbone.
  • Mettre l’accent uniquement sur l’atténuation des gaz à effet de serre ouvrirait la porte à des mesures de réduction des émissions qui ne relèvent pas de l’efficacité énergétique, comme le remplacement de carburant, la réduction des émissions fugitives, la réduction des émissions émanant des procédés, et le captage et le stockage du dioxyde de carbone. Cette réduction des émissions est quelquefois plus rentable que celle obtenue par des mesures en matière d’efficacité énergétique.

Ces résultats mettent en lumière l’importance attachée à la poursuite d’un double objectif, une approche qui permet aussi d’appuyer un éventail plus vaste d’objectifs stratégiques tout en refermant l’écart en matière d’offre.

La conclusion sous-jacente à l’étude de cas est que l’efficacité énergétique dans le secteur industriel est essentiellement une question de financement de projets. Il est en général plus probable que les entreprises du secteur industriel aient déjà recherché des solutions rentables de réduction de consommation d’énergie que les ménages. Toutefois, la recherche menée depuis 30 ans indique que les consommateurs et les entreprises négligent, apparemment, les investissements rentables dans l’efficacité énergétique. Les résultats de l’analyse économique réalisée dans l’étude de cas sur l’efficacité énergétique confirment cette impression générale, et indiquent que, dans tous les sous-secteurs de l’industrie analysés, la valeur des économies d’énergie78 est supérieure à celle des coûts d’immobilisation initiaux qui y sont associés. Pourquoi les entreprises ne réalisent-elles pas ces investissements? Une raison possible est que les projets portant sur l’efficacité énergétique se font concurrence entre eux pour obtenir des fonds, à l’intérieur d’une même entreprise, et qu’il se peut qu’ils ne satisfassent pas aux exigences internes établies en matière de taux de rendement, ou qu’ils ne soient pas aussi intéressants que d’autres investissements, comme ceux visant à améliorer la productivité, par exemple. Ces situations constituent des occasions d’affaires sérieuses pour des tierces parties comme les sociétés d’ingénierie et/ou les sociétés de placement. Une autre raison possible est que les entreprises hésitent à adopter de nouvelles technologies qui présentent un plus grand risque d’échec.

L’organisation du marché dans lequel l’entreprise évolue pèse lourdement sur les décisions d’investissement en matière d’efficacité énergétique. Dans les marchés en forte croissance et très concurrentiels, l’efficience en matière d’énergie et d’autres intrants est essentielle à la survie des entreprises. Les marchés en stagnation, au contraire, offrent un contexte peu propice à l’innovation et à l’investissement, et se contentent d’équipements déjà dépréciés pour maintenir au plus bas les coûts de production79.

Les projets portant sur la promotion de l’efficacité énergétique entrent en concurrence avec d’autres projets pour obtenir un investissement de l’entreprise en question. Dans les secteurs de l’industrie hautement énergivores, les sociétés sont fortement incitées à investir dans des systèmes énergétiques plus efficaces. Dans d’autres secteurs, toutefois, les investissements les plus intéressants se situent souvent dans la mise au point de nouveaux produits ou dans des projets de modernisation ou de réorganisation qui ne procurent aucun gain en termes d’efficacité énergétique. Les petites et moyennes entreprises (PME) dont le capital d’investissement est limité doivent souvent, pour des raisons économiques, éviter des projets dont les délais de récupération sont longs, et qui sont typiques des mesures d’économies d’énergie80. Qui plus est, il est fréquent que les PME ne disposent pas de l’expertise interne leur permettant de repérer les occasions d’efficacité énergétique, ni d’en faire le suivi.

Ces constatations mettent en évidence le rôle joué par les prix de l’énergie et les forces du marché dans la stimulation des mesures d’efficacité énergétiques ainsi que la nécessité d’un signal de prix, étant donné que les prix actuels semblent trop bas pour être en mesure de favoriser des progrès importants en matière d’efficacité. Le choix d’un instrument fiscal approprié se situe entre des mesures ciblées pour un groupe de technologies ou un secteur en particulier, ou un instrument fiscal général qui ne privilégie aucune technologie ou aucun secteur en particulier. Dans l’un ou l’autre cas, les répercussions ultimes dépendent largement du niveau auquel l’instrument est fixé (dans l’étude de cas elle-même, le prix « fictif » du carbone). Ce niveau doit au minimum permettre de surmonter l’obstacle lié à l’écart d’efficacité énergétique.

L’étude de cas conclut que l’intervention stratégique la plus appropriée devrait se situer aux deux extrémités de la chaîne du produit : (1) l’adoption par le marché de technologies et de procédés existants (et éventuellement émergents), et (2) la R-D reliée à la mise au point de nouvelles technologies de l’efficacité énergétique, en particulier celles qui procurent des avantages dans ce domaine.

De toute évidence, les deux stades sont étroitement liés, en autant qu’ils supposent un cycle d’investissement, de mise au point et d’adoption par le marché, qui soit dynamique et continu. Dans un tel scénario, favoriser l’adoption par le marché des technologies qui
« dorment sur les tablettes » suscite un réinvestissement dans de nouvelles technologies dans le domaine de l’efficacité énergétique, ainsi qu’un cercle vertueux d’investissement menant à une intensification de la R-D et à une amélioration permanente dans le domaine de l’efficacité énergétique. Les améliorations du rendement dans le domaine de l’efficacité énergétique suivent une tendance positive progressive, comme on l’a vu pour l’effet cumulatif du rythme de 1 p. cent par an des améliorations à l’efficacité énergétique qui a été observé dans le cadre du Programme d’économie d’énergie dans l’industrie canadienne (PEEIC).

Quant aux technologies éprouvées dans le domaine de l’efficacité énergétique, l’intervention des politiques devrait encourager l’adoption par le marché des technologies et procédés existants. Le choix des outils d’EF pour y parvenir reposera sur la nature des possibilités d’efficacité énergétique existant dans le secteur industriel. L’utilisation de l’énergie dans l’industrie peut être perçue en termes de services génériques ou auxiliaires (systèmes de vapeur, systèmes d’éclairage, systèmes de chauffage, de ventilation et de climatisation ou CVC; et systèmes à moteurs électriques) et de procédés spécifiques à un secteur ou même à une installation en particulier. En ce qui concerne cette dernière catégorie d’utilisation, la possibilité d’efficacité énergétique est caractérisée par d’innombrables technologies et procédés particuliers et différenciés, non seulement entre les divers secteurs mais aussi dans le cadre des activités d’un seul secteur.

Parmi les mesures fiscales visant l’efficacité énergétique dans le secteur industriel, la déduction pour amortissement occupe une place prépondérante; une méthode qui, sur le plan de l’administration fiscale, est technologiquement normative. Elle est par conséquent bien indiquée pour les technologies génériques et auxiliaires qui jouissent d’une large application. Elle est moins appropriée pour des procédés propres à un secteur ou à une installation en particulier dans lesquels la possibilité d’efficacité énergétique est caractérisée par d’innombrables technologies et procédés particuliers et différenciés, non seulement entre les divers secteurs, mais aussi dans le cadre des activités d’un seul secteur. Elle convient aussi moins bien aux possibilités visant des technologies axées sur un système ou propres à un secteur ou à un procédé particulier qui sont, par nature, radicales. Citons à titre d’exemple la substitution de procédés thermiques par des procédés ayant recours à des techniques à membrane ou à la biotechnologie, ou les améliorations à l’efficacité matérielle de la production. Ces catégories de possibilités sont mieux appuyées par des mesures fiscales générales fondées sur le rendement (par opposition aux mesures visant à privilégier certaines technologies), comme une redevance sur les émissions ou la réglementation axée sur le marché (permis négociables)81. Selon cette approche, le gouvernement fixe une cible accompagnée d’une réglementation — pouvant être axée sur les émissions (pour obtenir à coup sûr des résultats sur le plan de l’environnement) ou sur une technologie (pour être plus sûr d’obtenir des résultats sur le marché) — et attribue des permis négociables (par vente aux enchères ou gratuitement) à toutes les parties concernées. Cette méthode confère une souplesse individuelle dans l’atteinte d’une exigence ou limite obligatoire — l’intéressé peut se conformer à l’exigence ou payer d’autres intervenants pour le faire. En outre, l’expérience tirée de cette approche a montré qu’elle prévenait plus efficacement les effets de rebond et offrait un signal en faveur de l’innovation technologique à long terme.

Les participants au programme ont estimé que les mesures fiscales seules ne suffisent pas à couvrir la diversité des possibilités technologiques qui s’offrent en matière d’efficacité énergétique dans le secteur industriel ou des améliorations axées sur un système; en outre, on s’inquiétait de l’importance des dépenses publiques, par unité d’effet, qui est courante dans le cas des programmes de subvention, en raison de la présence d’entreprises qui auraient réalisé les changements souhaités même en l’absence de la subvention.

Au niveau théorique, les participants privilégiaient la redevance sur les émissions, et d’autres recherches ont montré qu’elle était intéressante sur le plan économique, en particulier lorsqu’un recyclage créatif des recettes, des exemptions sectorielles, des ajustements fiscaux à la frontière82 permettent de répondre aux préoccupations au sujet de la compétitivité. Toutefois, un prix des émissions appliqué au secteur industriel a été considéré par la plupart des participants comme la mesure la moins viable sur le plan politique malgré son effet très limité sur la production : l’évaluation macroéconomique de l’effet du signal de prix de 30 $ la tonne de CO2e dans l’étude de cas (sans politiques d’atténuation) a conclut que seuls les secteurs des minéraux industriels et du fer et de l’acier subiraient des changements de prix de production suffisamment élevés pour réduire la production.

Pour toutes ces raisons, les participants ont estimé que la réglementation axée sur le marché (analogue au système d’échange de droits d’émissions intérieurs pour les grands émetteurs finaux) était le moyen le plus efficace sur le plan environnemental, le plus efficient sur le plan économique et le plus acceptable sur le plan politique, de favoriser l’adoption des technologies écoénergétiques et des procédés à haut rendement énergétique dans les secteurs de la fabrication et de l’exploitation minière.

Toutes les technologies écoénergétiques ne sont pas éprouvées. D’autres ne peuvent qu’émerger et en sont actuellement à un stade de démonstration ou n’ont été appliquées que dans un créneau relativement étroit (c. à d. réduction directe du fer et de l’acier). Qui plus est, d’autres n’ont pas encore donné les résultats attendus, sur le plan technique, et font l’objet de programmes dynamiques de R-D. L’innovation technologique peut être progressive (innovation lente et graduelle au sein des technologies existantes) ou radicale (la mise au point et l’introduction sur le marché de nouvelles technologies ou de nouveaux procédés qui améliorent radicalement la performance sur le plan de l’efficacité énergétique). Il n’est pas toujours possible de prédire quel type de technologie sera plus efficace pour réduire l’énergie à plus longue échéance.

L’innovation radicale est celle qui provoque des changements par étape en matière d’efficacité énergétique. Parallèlement, ces innovations radicales, axées sur les procédés supposent un remplacement d’un parc plus grand d’immobilisations que les innovations progressives qui peuvent ne concerner que certains éléments technologiques. La nécessité de remplacer un parc plus important d’immobilisations constitue un obstacle supplémentaire à l’adoption de technologies radicalement novatrices, car le marché de l’efficacité énergétique, en particulier dans le secteur industriel, est lié par des échéanciers de rotation du stock de capital. Il est difficile de prédire de quelle manière cette innovation contribuera à la décarbonisation des systèmes énergétiques. Le fait de n’avoir pas inclus l’innovation radicale future peut rendre l’analyse conservatrice.

Recommandation Pour appuyer la réduction à long terme des émissions de carbone par l’adoption de l’efficience énergétique dans l’industrie, le gouvernement fédéral devrait :

a) intégrer une convergence sur l’efficacité du carbone dans les activités de promotion de l’efficacité énergétique afin d’éviter que ces activités entraînent une augmentation perverse des émissions de carbone;

b) mettre en œuvre un signal de prix général pour la réduction des émissions de carbone;

c) si b) est impossible, accroître les mesures fiscales ciblées (qui conviennent le mieux aux technologies génériques et auxiliaires) par une réglementation plus générale axée sur le marché (basée sur les émissions ou la technologie) afin de saisir les possibilités systémiques;

d) fournir de l’appui en R-D pour la mise au point de nouvelles technologies d’efficacité énergétique et, en particulier, celles qui offrent des avantages radicaux à cet égard (p. ex. par de nouveaux procédés de production). Il faudrait assurer le suivi, au moyen de mesures fiscales ciblées, jusqu’à la commercialisation de la technologie.

 

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